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Poésies Jean-Luc OTT

LES VENTS SONT DES SILENCES
EN MOUVEMENT

Extraits


 1.


Le temps s’impatiente
dans l’entortillement des choses
avec des mots de tous les jours composés
comme on dresse une table pour recevoir
et qui frôlent à peine l’idée du passé commun

Tu ne comprends pas
tu ne comprends pas
que moi aussi j’ai besoin de faire la lumière
sur ce qui s’en va passer au crible
tes manières de faire qui n’ont plus cours
Que cela ne serve à rien n’a aucune importance
les choses éclairées demeurent

Te voici en face de moi encore une fois
comme devant un fleuve sans début ni fin
comme si le temps avait rétréci 
au point de faire disparaître le superflu
pour atteindre le premier instant

Ta ville serait encore derrière la colline
et les morts qui nous entourent à leur occupation
Il ne te resterait plus rien à me faire comprendre
moi qui aurais tant appris dans l’intervalle

Que faudrait-il reprendre ?  
Puisque le printemps est à nous
par sa fraîcheur par son élégance
et son recommencement. 


2.

 

Tout est très clair dans le ciel
de la jeunesse limpide et sans artifice
capable d’élever dans les airs
les plus gros porteurs comme par magie

Que cela vienne de loin ou de près
tout ce que je sais se subdivise
et tout ce que j’ai vu s’additionne
mais je reste naïf par les sentiments

Je sais l’inconsistance des hommes
et la docilité des choses
ce que l’on peut saisir dans l’œil inquiet des bêtes
et que les choses perdues le sont à jamais

Les années passent et pas un commencement !

Je sais que l’escale de la jeunesse
ne se laisse pas franchir.

 

3.


L’amour quelquefois touche si profondément
que la vie en est déviée
même s’il n’entre pas
même s’il ne fait qu’effleurer la peau 
d’un doigt novice même s’il ne fait que parler
dans une autre langue
la vie ne sera plus la même
ni le regard porté sur les choses

Je ne marcherai plus à la manière d’avant
les chemins n’auront plus la même odeur
comme au jour de naître 
la lumière aura blanchi

Quelles étaient ces paroles ?
quels étaient ces gestes toi qui les as émis ?
Moi qui les ai reçus
je ne le sais que trop. 

 

4.

Moi je ne déchire pas un corps vierge
ni n’expose à la vue de tous des nudités imprévisibles
je n’ai qu’un ensemble de lettres à ma disposition
pour te remettre à la place où le monde
n’a pas voulu te conserver pour me saisir 
de ta parole ranimer ton corps d’écorce vive
l’écorcher feuille à feuille et atteindre le sang
le composant vital dont j’ai besoin je n’ai que des mots

 

Si le monde n’avait pas de fin 
on aurait pu vivre longtemps dans l’insouciance
des oiseaux l’écoulement des eaux 
sur nos corps ensoleillés mais la vie sans cesse
déplace les règles les pions que nous sommes
comme des alluvions au point le plus bas
et tu ne cèdes rien
tu ne cèdes pas à la tentation de disparaître
Il n’y a pas de lucioles en hiver sache-le 

 

 5.


Je suis dans l’erreur depuis le premier jour
comme cette paix acquise à coup d’abandon
j’ai troqué mes certitudes
Nous avons fait l’amour parcimonieusement
où tu voulais et pour ne pas nous perdre
je notais l’endroit au coin de ma mémoire
je pouvais tourner et retourner sur mes pas
sans m’égarer même dans le labyrinthe 
de ta volonté

Le temps que tu me donnes n’est pas le même
que celui que j’attends
mon temps est une grande plaine 
où broute un troupeau lent l’herbe 
jusqu’au suc des racines Il sent la terre
Et toi l’été d’un seul tenant qui l’éblouit
le bois et le calcine.
Jamais nous ne nous accorderons
ta faim est trop grande mon temps trop long


 6.


Avec quelle arme me tiens-tu en joue
derrière ton apparence lisse ?
Moi qui suis absorbé par l’amour
et qui par voie de conséquence ne questionne pas

Pendant longtemps j’ai bien songé à répondre
à l’offensive par la soumission
Mais le courage froid de tes yeux 
n’aurait pas compris le message

Je resterai donc assis à même le sol
jusqu’à ce que le langage passe

A moins que tu ne l’achèves de loin. 


 7.


Dans le paysage là à l’arrière des yeux
il y a une ville aux teintes jaunes où l’on vécut
Mais où les habitants ne sont plus de ce monde
et toi tu nous regardes encore 
de tes yeux indéfinis 
Tu juges comme nous te jugeons

M’extraire de ces yeux reste impossible
puisque c’est à travers eux que je vois la vie
ce que j’en imagine ce que je compose 
et recompose sans aucune science
juste par ma volonté de croire

Tu ne dis rien car tu ne peux rien dire
mais tu sais déjà ce qu’il en sera de mon regard
une fois que la vie aura passée. 

 

 8.


Demain s’installera ma voix à ta convenance
pour le temps qu’il te plaira
d’entrevoir et le geste et la parole 
qui ont fait la vie

Je serai dans l’extrême hiver
parmi les miens
les rennes au pelage gris chargé de neige
aux odeurs mouillées de terre et de bois

Ils possèdent la nuit comme j’ai habité
tes jours informulés plus vivants
que je n’ai été moi-même. 

 

  9.


Je m’encombre encore d’images
et d’odeurs qui ont vécu
C’est inutile je le sais
Mais le temps saturé d’existence
me rassure m’enracine quelque part

J’aimais les sentiers de la nuit à tes côtés
unis et seuls par l’ombre chaude par tes mots inutiles
puisqu’ils n’ont pas servi ta cause 
puisque tu étais convaincu de ne pas faire l’affaire
alors qu’il n’y avait pas meilleur traceur

Les nuages fuyaient un ciel sans fin
sans un regard en arrière
me laissant à tes murmures
Tes mots se sont perdus en moi dilués
comme des pluies qui rencontrent la mer. 

 

 10.


Je suis comme un fruit mûr de toi
qui es allé courir le monde
pendant que je restais croupissant au sol
Je suis né de la paix 
et vécus bien durant cette longue trêve.
Elle ne pourra durer éternellement
tant les mains du monde sont inhabiles à la paix
elle qui n’est qu’un flotteur gracile sur la houle de la mer

Je suis un fruit de la paix
et cependant mon âme inquiète te cherche
te supplie de me redonner la sève nécessaire
de régénérer mon courage
pour affronter les peurs en moi
Je suis comme un fruit de la paix
mais mon âme ne la connaît pas
mon âme est née de la mort éternelle. 

 

11.


La réalité est déchirante même quand elle fuselle
les corps de lumière crible de désirs les yeux
Nous avions nos yeux magiques alors 
de ceux qui enfantent des soleils

Cela commença comme un plongeon
dans la clarté d’une eau plane et verte
juste profondeur pour engloutir tout l’ancien être
le détromper radieux mais assoiffé de vie

Que je m’en sorte est une vérité
Le jour qui ne connaît qu’un été ne peut
simplement finir sans que je le veuille
ni maintenant ni jamais

Quand tu te retournas 
Tout se mit à se taire 
pas le moindre vent de rappel 
pas de remuement en retard
Je me souviens j’étais bien plus seul encore
comme si soudain l’abandon était devenu universel
L’ombre de la montagne les lichens à droite
des troncs nus comme l’encre des écritures
et le froid des lointains venus par les rennes en troupeau

La perche était là saisissante où m’attendait
un autre monde et en moi tout hésitait
ta promesse était sûre comme la couleur de l’eau
comme est sûre la vie qui attend quelque part

Mais pourquoi venir si tôt 
quand ni toi ni moi n’étions prêts 
quand l’enfant se retournait en nous
terminer son long sommeil natal

 

 12.


Quand tu rentreras les volets seront ouverts
au présent accueillant la lumière et ta revenue
Il n’y aura pas d’oubli dans la disposition connue
comme si le temps s’était préparé à l’instant

L’époque sera exactement la même
des guerres par-ci les ambitions humaines là
et de sublimes fragilités qui font la constance
de la vie

Ton regard sera plus difficile à dénouer
qu’un banc de poissons dans l’eau claire 
car il ne dira rien des pays traversés
ni du cri vide des corneilles de l’hiver 

Rien ne te sera demandé pas plus les raisons
que les manières puisque ne se renouvelle
jamais l’exact de ce qui n’est plus 
mais seulement d’être ce qui éclaire 
l’obscurité en dedans de soi. 

 

 13.


La nuit a été pure
le vent amical dans les peupliers
on entendait le son des cloches
quasi muettes scandant la nuit
chaque quart d’heure me fut offert
comme une possibilité d’être
sans pécher

La chance a souri mine de rien
déjà le ciel est à ma porte
prosterné comme un boulevard

Tes épaules à bout portant sont visibles 
le vent passait et repassait
dans les feuilles agaçant la nuit
couvrant découvrant la partie émergée
dans ma poitrine il y avait le feu
il y avait l’urgence navrante
et au-delà de ce rien il faut bien le dire
le vent millénaire au lent travail de sape
qui dit le temps sans début ni fin
quasi suspendu en la matière

Au matin ton t-shirt est froissé
comme s’il avait passé une nuit de sommeil
à ma portée. 

 

14.


Possession inconditionnelle de cet instant
et le soleil qui se couche et tu me reviens
pour autant d’occasions manquées 
que de nuits douces à marcher le long
de sentiers jusqu’à l’incandescence
jusqu’à entrer dans la nuit claire
comme deux morceaux de lune s’enchevêtrent
C’est ce que je tais qui importe
Tu ne peux pas le savoir toi 
qui cherches le passage qui nous tourmente
Pourtant rien de plus n’était nécessaire
pour coller ensemble les deux versants
Mais rien ne se passa comme il aurait fallu.

 

15.


J’ignore qui tu voyais à travers moi
lorsque je te regardais
dans ce triangle infernal 
où la vie s’embarrasse

Combien de fois peut-on se multiplier
pour être à d’autre la présence qui les accompagne ? 
Je ne sais pas si tu es ma solitude 
ou la joie que je te confisquai.

 

 16.


Cela fait des semaines que 
l’on n’a pas vu la lumière du ciel 

A vivre sans le ciel on en perd
l’idée même de sa couleur
Mais c’est parce qu’elle existe 
forcément dans l’insondable profondeur
que tu ne crois pas seulement 
à ce qui est visible. 

On doit se contenter des villes éteintes
des murs délabrés cinéraires
où parfois il ne reste rien
qui vous tiennent hors d’eux 
ou en dehors d’elles.

Dans ce récit en cours
il n’y a rien de fabuleux
seulement des mots qui cherchent
hésitent et ton propre itinéraire. 

 

17.


       à Denis Landaret

Les forêts luxuriantes aux baies sauvages
les pâturages et les champs de colza jaunes
jusque dans les coins
Les rails alignés comme des couverts à table
et les villes d’acier au verre flambant neuf
Les jardins verticaux avec des oiseaux à chaque étage
et l’homme partout – cahin-caha
Les bouches disant n’importe quoi 
ou plus rarement comme des denrées chics
de pures merveilles

Quand la musique hurle des fenêtres
et des voitures ouvertes 
il est difficile de savoir qui est qui 
ce qui est juste et ce qui ne l’est pas
j’ai grandi là 
où d’autres sont passés avec certitude
Malgré tout nous ne pouvions sympathiser
puisque tu étais pressé de vivre
quand moi je traînais les pieds. 

 

18.


Nous sommes les enfants des labyrinthes
qui devons avancer coûte que coûte
Est-ce liberté que de suivre cette route ?

Pour revenir en arrière (le fil 
étant rompu dès l’origine) jamais plus 
n’entrerai avec toi dans un endroit clos
Il n’existe plus dans aucune mémoire
Mais puisque en moi tu occupes tout
à quoi bon faire un tri entre ce qui est devant
et ce qui est derrière ?
Morfal l’homme absorbe tout ce qui l’entoure 
De même j’avance avec l’envergure 
de mon monde à moi
j’en occupe tout jusqu’à la flottaison
même ce que j’ignore se colle à moi
comme une ombre. 

 

 19.


La neige se concentre sur quelques sommets pointus
de moins en moins abondante et comme irréelle

A peine plus bas l’eau abonde vient de partout
Si l’eau doit s’écouler elle coulera
quelle que soit la jointure des doigts
ou la résistance du barrage qu’on lui oppose
Il ne sert à rien de la contenir pour espérer
qu’elle ne fasse pas de ravage plus bas encore

La nature s’accroche
mes chaussettes sont couvertes de balles d’avoine
sauvage qu’il faudra enlever une à une 

Ce soir la lune est une balafre floue 
dans le ciel opaque 
même fluette elle en impose encore
scintille 
on croirait voir un œil qui se ferme
sur l’épreuve 
comme tous les dieux auxquels on a pu croire
au fil du temps. 


20.


Quand les insectes se turent par mimétisme
pas même un croisement d’élytre 
pour rendre l’habituelle nuit douce des temps chauds
Les plus beaux silences d’été tant habités par la vie
ont fermés leur cycle.

Déjà ma peau est rêche comme celle des insectes
le moindre accroc la déchire comme les nappes
rigides des tables de cuisine. Là les cerises
de la dispute étaient rouges 

Maintenant il n’y a plus que le silence 
le bla bla bla du robinet qui goutte 
sur le métal de l’évier
On croit sentir les pluies de juin aux tempes
chaudes et mouillées comme des promesses
des baisers qui engagent ceux qui les donnent

Ne pas clamer le bonheur sur les toits
pour ne pas éveiller le démon qui dort d’un œil triste
et garder en soi le grillon parleur - habile à se cacher
qui frôle le silence sans jamais y pénétrer. 

 

 21.


Les chemins de fuite vers les erreurs passées
ont oubliés la honte de nos parents
Une autre nuit s’avance c’est la répétition
le travail jusqu’à l’exactitude.

Et ma confiance en toi qu’elle est-elle ?
Rappelle-toi les floraisons de l’âge à deux
la liberté conquise sous les murs tombés
ta joie fraîche buvable comme une eau
au moment où l’époque ouvrait sa bouche
pour nous recevoir à l’égal des autres
Les tulipes dérobées 
Le moment était venu de se poser 
de prendre part au temps

Mais la sagesse ne dure guère A quoi donc
rêvent les hommes quand les sirènes les perdent ?

Que ça aille mieux demain comme si des prés
et des vergers pouvaient surgir là
sur la poussée du matin. 

 

22.


Pierre muette posant le poids du monde 
dans la tête jusqu’au fond de l’âme
Mémoire archaïque comme l’arrière du retable
dans la poussière de bois dorés
Les couleurs déteintes sont des voix endormies
qui songent et murmurent une langue perdue
heurtent la sphère du silence.

Les paysages froids gelées villes et forêts
où sont les hivers du monde ?
Ce qui demain sera ou a été un jour
est dans un silence absolu
Où a-t-on vu pareille vie immobile ?

Tu es là où je regarde
absorbé par la fixité du froid
transi de transparence - de geste
de parole de souvenir défait

D’avance je sais que ma chaleur sera impuissante
que mes mains et mon désir ne rallumeront
rien de ce qui a été

Si le monde s’est éteint à mes yeux
c’est qu’il a pris ta route d’exil. 

 

23.

Je suis sur la route qui va de l’avant
et sans retour bien que je sache que
pas un pas n’a été fait depuis 
que tes paroles me retiennent
Suis-je ici ou là ?

Si le passé était bel et bien mort
pourquoi tant d’acharnement à vouloir
reconstruire morceau après morceau
ce que je ne peux pas revivre ?

Certains jours les épaules me font mal
comme si des branches y avaient pris racines
moi et mon orgueil idiot pensons masquer
le sens du ciel par une excroissance du passé

Mais impossible de me souvenir de tes mots
heureux impossible de les transcrire dans le réel
comment peut-on supporter le poids 
de ce qui n’existe plus sans les trahir ?

    

24.


Tu n’as pas l’écoute que je désire
tu es le petit vent qui frise
à travers les fissures imperceptiblement

Et moi je cogne encore à l’endroit
des volets qui fait lucarne
même s’il n’y a plus de maison
pour accueillir ma parole
même s’il n’y a plus de jardin
où poussait le phlox de la disgrâce

Tout va se mettre en marche
des préparatifs à n’en plus finir
où chacun aura sa place naturellement
pour des gestes de funérailles paramétrés
Rien ne sera laissé au hasard
les mots auront cessé leur croissance
tôt comme le bétail de nos fermes
tôt dans l’après-midi quand le soleil
est encore haut à ton image. 

 

25.


Il y a longtemps que tu ne réponds plus
au bord du temps où les voix ne portent plus 
Si loin que les froids sont solides comme des monticules
de glaces charriées par des forçats aux bras nus

Il y a longtemps que je n’ai pas vu
tes yeux me regarder
ni entendu ta voix me dire
la joie qui t’anime

Il y a longtemps que tu ne me réponds plus

L’eau a monté par toutes les portes et les nuits ouvertes
faisant flotter les rêves et des paquets de désirs
inentanés dans un tourbillon presque paisible

J’ai cru prendre part à la fête m’immerger
dans le bonheur du monde

Mais les déluges sont venus et d’entre tous
nous n’avons pas été choisis

 

26.


Quand tu travailles en moi
quand tu te concentres
sur cet ouvrage en devenir
ce qui en ressortira a moins d’importance
que le temps que tu m’accordes
ce jardin en gestation ce feu qui sommeille
cette garantie de vivre

                xxxx

Au fil des mots tu te traînes 
dans l’été des pentes descendantes
les jaunes se glorifient de vers 
qui furent prometteurs
Tu n’as pas dit ton dernier mot
que je pressens

                xxxx

Tu danseras sur l’amour aveuglément
jusqu’à l’obscurité soulevant des bannières
peintes d’azur pour qu’on te suive
La poussière des planches te couvrira 
de l’or d’une danse qui ne peut finir

Si les mots n’ont pas de prise sur toi
c’est que tu es en mouvement
de vie en vie de personne à personne
de monde ancien en monde à venir

                xxxx

Te serrant fort au fil du temps
mon corps prenait forme
et l’envergure de l’arbre désormais
occupait tout un ciel. 

 

27.


Les yeux fatigués à force de défriper la mémoire
sur ce qui était fiché dans la tête
j’ai trop dit trop senti la rumeur
Il n’y eut pas de commencement 
à proprement parler plutôt l’enracinement
long d’un arbre dans un paysage nu
Il y a l’infini entre terre et ciel 
entre hier et demain le non fini 

Parlerais-tu un jour ?
Pour que le doute ne subsiste plus 
et que je puisse enfin dormir
jamais mes yeux ne se reposent
Je guetterai le moment où je serai sans douleur
j’irai te chercher et t’ouvrirai toutes les portes. 

 

28.

Des nuées de papillons blancs 
entouraient la Pucelle
certains les ont vus d’autres non
Je ne voyais plus la femme à cheval
qui tentait d’entrer dans la ville assiégée
qui disait qu’il fallait y croire
pour que cela fut vrai
qu’il suffisait d’y croire
D’autres déplaceront des montagnes
ouvriront les eaux 
comme deux morceaux d’un fruit

Il n’y a rien qui soit impossible
sinon en rêve sinon dans l’ailleurs
ou dans la foi d’un grain de sénevé

 

29.


Je n’ai pas peur de te regarder partir
du moment que tu m’entraînes dans ta pensée

Ton monde en perpétuelle demeure 
n’est pas le mien il en a toujours été ainsi

Quand je dors le monde change j’existe d’une autre façon
où t’atteindre reste possible et de toutes les manières
Il n’est pas besoin de langage pour se parler
il n’est pas besoin de corps pour se comprendre
de chaleur pour s’épanouir

Je me déplace d’avant en arrière de haut
en bas très vite comme un drone
sans contrainte de temps ni de vitesse ni de volonté
Le monde est soumis à mon arrogante obsession
et tu restes là sans révolte 
tu n’avances pas vers le vide comme un funambule
aux longues jambes côtoie le ciel
mais sur des chemins de terre 
de nous seuls connus. 

    

30.


Le vent écrit des poèmes simples sur le sable 
les efface puis les ré-écrit sans cesse
de multiple façons insaisissables et toujours
recommencées comme un jardinier ingénieux

Certains jouent avec l’Histoire 
sans se soucier de la vérité du vent 
pour tout posséder de l’attention des hommes

Même un filet de voix peut créer un accord
entre ce qui est et ce qui n’est pas 
et faire naître le sable de ses doigts de feu. 

 

31.


Demain je m’en irai par les champs
couper au plus court
J’irai droit où il faut aller
vers l’origine du bonheur
cette source qui ne sait plus
ou n’a jamais su où s’étendre
Refermer le cycle d’un parcours voulu
qui ne répond à rien d’autre 
qu’à ma propre inquiétude

La vie aurait pu être différente
moins gourmande plus légère
mais pas l’inquiétude en moi celle des nuits 
infinies des étendues blanches scintillantes 
où les vents sont des silences en mouvement

La distance ne sera plus perceptible
ni devant ni derrière
Je tiendrai là la revanche sur l’oubli
l’ampoule sur les ténèbres sera dans ma main
et de la mémoire paraîtra comme toujours
au moment le moins propice
un peu de cet universel 
pour l’au-delà des autres.

 

32.


Je ne sais rien de la vie à venir
ni de la lumière qui semblera
où sont passés déjà maints réfugiés 
se faufilant entre les solitudes

L’aide ne viendra pas 
Elle ne peut venir de nulle part
Les égarés ne s’entraident pas 
Ils s’abîment en mer sur les routes de la nuit
à la recherche d’un lieu qui existerait


33.


Pas de liturgie entre nous 
juste un peu de paroles au mystère de langues mortes
Prends mes lignes pour ce qu’elles sont
il n’y a rien à entendre d’autre
Je ne cesse d’y penser ma pensée est toute captive
Alors que le temps ne nous épargne pas 
qu’il sombre à côté de nous

En sommation les tempes du silence palpitent 
comme de longs tuyaux de cuivre qui courent la maison
Il fait bon ici quand dehors l’hiver 
est à son plus gros effort
J’attends la nuit aux lueurs glacées 
aux nervures saillantes qui brûlent le temps

Elles disent ce que j’avais à dire
l’incantatoire est le plectre pour ne pas te perdre
dans la nuit au long parcours.

 


Jean-luc ott
Strasbourg, 2021 - 2022

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