
Poésies Jean-Luc OTT
J'ENTENDS CE QUE DIT L'ETE
«Il faut tout de même quelqu’un pour voir que tout passe »
Rutger KOPLAND Dans « Toutes ces belles promesses »
1.
J’entends la pluie tomber dans la brèche ouverte du toit
je sens les murs boire l’eau et le bois mort
se gonfler à l’intérieur
Le thon saigné a un sang rouge qui teinte
l’eau de manière indélébile
Je suis né dans un monde vulnérable
J’y suis lié par l’artère qui donne le pouls
l’imperturbable méandre qui palpite
jusqu’au moment inique de la mort
Le passé ne me fait plus peur
J’essaie les mots qui voient des choses très sombres
ou très claires comme les sauts d’un petit chien
mais je reste seul
Tu ne peux pas imaginer être dans un monde
invulnérable ou alors tes yeux sont éteints
Là dedans le poème n’a pas de force
quelque soit la langue avec laquelle il est fait
Il ne secoure jamais qu’un instant.
2.
Pourquoi te parlerai-je dans une autre langue
que le souvenir ?
Le présent m’y autorise
et le futur n’existe pour personne
Que ta bouche était vaste et pleine de mots
comme de fifrelins poissons tout maigres
échappés d’entre les rochers
Et de cet instant qui nous fît naître à la pesanteur
non pas au temps - il avait vécu déjà -
il ne reste rien ou pas grand-chose
À la clarté du souvenir je sens l’été de tes membres
cette figue mûre et parfumée
qui ensanglante la mémoire
Il décide de qui doit mourir ou non
simplement comme un dieu tapi là dans le coin
sans aucun respect des mesures
ni de la faiblesse des hommes.
3.
Le nuage enveloppe la colline la traverse
de sa matière absente - Comme ici je marche
Le temps est instable et parfois le paysage
apparaît distinctement laissant les yeux humides
et le cœur battant devant tant de netteté
Que doit-on envisager ?
Chacun mène son combat pour être adulte
et tout peut venir si vite aussi bien que le chaos
Toi en abyme ta présence en moi
moi-seul la devine la connais mieux que quiconque
Te déposer là non pour que tu dormes
entre mes murs mais pour que tu puisses
contempler l’infinité du temps entendre
trahir les stridulations de l’été
et que tu voies depuis ta jeunesse sans fin
défiler les chars énigmatiques de la guerre.
4.
Dès notre naissance le sang nous commande de grandir
pousse les méandres du corps jusqu’aux extrémités
des lieux paisibles
Ce que tu as commencé à écrire
j’y pense encore
Tes mots sont là dans l’intimité et me préservent
ainsi tu trembles encore à la manière de l’eau
dans le verre avec des ronds parfaits
Seulement au fil du temps la promesse s’effrite
avec les feuilles caduques son poids est lourd
de ce que nous avons construit
de ce qu’ensemble nous avons aimé
L’axe du monde n’est pas celui que je croyais
Il se déplace
Les certitudes d’hier
comme les paysages sont différents
Mes yeux ont tant vu qu’ils sont vieux
Ils ne te regardent plus de la même manière
d’une certaine façon ils te libèrent.
5.
Non tu ne sais rien et n’as jamais rien su
de la persistance à vouloir aimer
têtu comme le bulbe s’efforce de renaître après le froid
et peut-être à cause de lui
Je ne sais pas ce que tu fais de mes mots
ont-ils désormais le corps caduc des feuilles ?
Sont-ils vains ou sournois comme la macération de la force ?
L’hiver s’installe les draps blancs qui tombent
de la voûte du ciel sont opaques et laineux
Je vais pouvoir dormir un instant
dans la nuit profonde
La poésie n’a pas d’avenir elle voyage
sur des eaux encombrées de petitesses
et rêve qu’une île en sortirait
À toi maintenant de me rendre visible.
6.
Du sang de notre sang on ne sait rien
Il est vieux comme les patriarches
qui parlent toutes les langues
depuis les naissances jusqu’à la mort
C’est lui qui fait trembler la terre
teinte les océans quand on égorge les cétacés
sa vérité est universelle comme l’eau
Ce que nous oublions y est inscrit
depuis le premier croisement des êtres
Ce que nous oublions demeure vivant
intranquille en nous à faire des ronds
comme les courbes organiques d’une rivière
Je n’ai pas réussi à prendre le pouls
du monde avec nous il est comme étranger
à la mesure
Le silence qui advient est un poème
que j’aurais pu écrire.
7.
L’hiver s’installe lentement l’eau prend
sa forme solide pour passer l’hiver
sans le moindre mouvement La forme solide
empêche de se noyer dans sa profondeur
Où se réfugier ?
Le monde dans lequel j’entre est peu sûr
Je vois comme si j’étais couvert d’yeux
comme si par moi le monde sauvage regardait
de son œil mélancolique
Personne ne nous délivre de la trahison
qui est silencieuse comme le travail
d’une crevasse dans la peau
Les autres sont méconnaissables et la rangée d’ormes
suit la courbe sans borne de l’eau jusqu’au lointain
Les lointains resteront là-bas sagement
entre l’inaccessible et le défait
C’est ainsi que tout passe que s’installe l’hiver
et que lentement
j’emporte une âme vers son repaire.
8.
Les champs jaunes aux trop fortes clartés
attendent la pluie comme de poussiéreux
mannequins c’est la saison chaude
qui suit la saison chaude
dans l’exil de nous-même
Qui voit est amer
Peut-être est-on allé au bout des choses
où le possible est advenu
peut-être que la fin possède encore une fin
dans le raffinement de l’existence
Le monde s’invite dans ma tête avec ses heurts
et son bruit
mes épaules sont crispées sous le poids de la tête
trouée comme des pas dans la neige
Le vent s’agite dans des complications sonores
et tourne autour
Rien à redire
tout se prend comme vient le temps
par à coups : blessures et joies
peines et désirs s’enchaînent
à la vitesse des rafales de vent
et l’âme se dépiaute comme les pelures
d’un épi pour laisser à nu
le trop fragile
et mille choses orphelines.
9.
Ma demeure ne me suit pas
elle reste là déshabillée ouverte
avec sa chair de poule grumeleuse et patiente
Je voudrais que tu voies ça
avant qu’elle ne me désinstalle
qu’elle éventre mon dôme et ma protection
Je suis en guerre avec le monde entier
qui est en guerre contre lui-même
et contre chaque morceau qui le compose
Être en guerre est un mode de pensée
qui croit-on permet de réapprendre à vivre ensemble
C’est la leçon par l’absurde
Le prix de la liberté croit-on
Mais la liberté c’est autre chose c’est de se parler
C’est de pouvoir le faire de vive voix
non à travers de poèmes
que tu ne liras jamais
qui ne te seront jamais dits
là où tu habites.
10.
La taupe glisse sa nuit dans les couloirs de mes veines
où le froid s’engouffre avec elle
Je t’ai dit tant de choses que ta mémoire se perd
ploie sous la pesée silencieuse des mots
Des siècles ont passé
et si je regarde bien je ne reconnais plus grand-chose
autour de moi
Ma parole devient savante plus désuète que jamais
cogne contre le front mou d’un brouillard
Il n’y a rien en dehors des murs que l’on se crée
en nous-mêmes qui me rassurent
J’ai la tête au soleil qui hume les doigts salubres
et chauds de la lumière
et dans la main ce petit galet rond lisse
comme la surface de la nudité
qu’on dirait fait pour être mis en bouche
Qu’il fait chaud en dedans de nous
qu’il fait bon
Je t’ai tant aimé
qu’on ne m’en veut pas d’ignorer toute autre chose.
11.
J’ai dit tant de fois « on verra »
comme si quelque chose allait venir
comme si elle était embusquée là pour toujours
Elle a ce teint de pêche et cette beauté
de mère toute fraîchement endurée
et qu’on voit nettement qu’elle l’a contente
comme une reine-marguerite épanouie
comme si dieu par hasard et par effraction
l’avait fécondée l’instant d’avant.
12.
Moi je ne te raconte pas d’histoires ni ne te dis
les choses que tu peux voir par toi-même
Ce que je te dis est la parole intérieure
le petit crapaud dans la tête
qui te fait bailler aux corneilles
Parce que tu t’ennuies à entendre ma vérité
Pourtant tu ne te révoltes pas
Peut-être es-tu trop mou pour cela trop
confortablement assis parmi des êtres
qui ne te font pas réfléchir et te distraient
avec les squames de leur vie
Rappelle-toi seulement le ciel étoilé
dans l’enfance du ciel
Pour ça je n’ai pas de mots ni besoin
que tu en prononces encore et encore
et peu importe le nom de la constellation
Je sais quelle position est la nôtre dans ce ciel
bleu et jaune ce n’est pas seulement le combat
pour un pays mais je m’en contente.
13.
C’est tentant de croire que quelqu’un
ou quelque chose t’attend
alors qu’ici il n’y a pas d’épilogue à la guerre
Le monde s’affole et n’attend rien de toi
qui n’attend rien de lui.
La lumière t’échappe comme un petit ballon rouge
« Je veux dans l’immensité revenir vers moi »*
réveiller l’enthousiasme faire taire ce qui est mort
et pullule en faisait tant de bruit
Mais de nous tous nous avons les mains sales
mille fois nettoyées
mille fois resalies même si l’eau coule dessus
avec abondance
Il n’y a pas d’autre monde possible
Pourtant rien - non rien - ne nous était caché.
* Else Lasker-Schüler dans Fuite du monde
14.
Voici les heures vibrionnantes de la mort
Qu’est-ce qui s’obstine dans tes yeux
à vouloir la clarté d’hier
comme si la jeunesse s’y incrustait
Tout ce flou va s’apaiser donner corps
à quelque chose de stable
Rien n’est plus pénible que le doute
le voilà désormais réduit à rien
Dans chaque être existe un repli
qui emprunte à d’autres l’expérience
Il reste les choses non finies
les choses qu’on abandonne
les choses qui nous retiennent
dans leurs flâneries butées
Je sais chaque mot qui est à moi
et me parle comme il me parlerait à l’oreille
si bas que le printemps y reste amarré.
15.
Tes yeux de cyclone ont tout dévasté
ne reste en moi que l’épaisseur de la vie
la nécessité de la vie
À chaque fois il faut être nu et se voir nu
se réfugier aux premiers âges du monde
sans avoir rien appris
Tout est méconnaissable
en toi autour de toi la mort colle à ta peau
humaine comme une seconde peau
comme une seconde chance
Tu es ivre de vivre devant la mort
et fou de peine
Désormais rien ne sera plus pareil
mais tout en prend le chemin.
16.
Ils me demandent quelques secrets sur ma vie
ou pour le moins que je donne un sens
à ce qui ne semble pas en avoir
peut-être de dire dans quelle direction
va le monde si pour le moins je crois
qu’un autre monde existe à l’autre bout
de celui-ci
Mais en vérité ils ne me demandent rien
Ne savent pas même à quoi je ressemble
et ne comprennent pas pourquoi
tant que je te regarde avec mes yeux
qui ignorent l’oubli
tu ne vieillissais pas.
17.
Pendant que les rois de la terre joue avec elle
comme avec un petit chien
l’indifférence nous menace
plus forte que le chaos
Le temps est en moi comme une fièvre
Je cherche à qui parlent mes poèmes
dans ces regards qu’on ne retient pas
Toi qui as réveillé en moi la parole
qui n’est pas un sens mais un artifice
dans la nuit
comme l’articulation d’un vol
Tu ne te retournes pas tu vogues
dans l’imprécision des vagues
Je ne sais pas la marche à suivre mais
je me guide dans l’étendue de la tourmente
comme sur un fil invisible pour s’évader.
18.
Il n’y a plus que des yeux mal éclairés dans ma mémoire
et ta voix dissoute est telle qu’un ciel immuable
ferait mentir le temps
Aujourd’hui c’était hier et ses embruns
pas encore retombés
Aujourd’hui aux heures creuses
qui sonnent comme la mer
Tu ne peux pas imaginer ce que j’ai dans la tête
l’extrême maigreur des arbres et les oiseaux
chantant dans ce qu’il reste de prés
et la route bombardée méconnaissable que traverse
la lâcheté des hommes
Où es-tu dans ce décor ?
toi que j’étais.
19.
Comme toujours nous nous entre-détruisons
sans même savoir ce que nous voulons
et moi je n’ai qu’une vie
Il faudrait être impitoyable avec l’eau qui monte
mais comment savoir dans la cacophonie des feuilles
ce qui est mensonge et ce qui est choix ?
Et demain nous nous réconcilierons
Demain tu viendras à mes pieds de saules
comme une barque silencieuse
et je saurais qu’il n’est plus besoin d’attendre
que l’hiver serait venu avec son engourdissement
soudain prendre le souffle à toute chose
pas le bruit d’une venue pas le bruit d’un départ
pas de trace dans l’eau dont les couleurs
ne se verraient plus.
20.
De tes mains ont jailli selon leur nature
les camomilles sauvages tantôt sur la gouttière
du toit tantôt sur les rails ou au bord du chemin
Qu’importe que tout aille de travers
que la pluie ne vienne plus
que les principes soient tus quand ça arrange
accommodant la mémoire
Je ne sais pas lire
dans les mains du soir
qui chaque nuit triturent mes pensées
Jadis je le savais
jadis je n’osais pas le dire
à la parole retentissante.
21.
À travers tes yeux on voit la jeunesse
prise comme dans l’eau
Le chemin n’est pas long
mais il est vain de remonter le temps
où la pesanteur est suspendue
et la lumière aimantée comme le fer
a pénétré ma mémoire de son panache
ébouriffé jusqu’au faîte des branches invisibles
jusqu’à travers a passé mes narines
et ma bouche comme l’air fume
quand il fait froid à prendre l’eau
dans son emprise
Quand j’ai la parole je ne la lâche plus
elle traverse le temps comme une lame l’eau
mais le souffle me manque pour aspirer ta jeunesse
jusqu’au bout que tu le veuilles ou non
jusqu’au regret invisible à l’œil nu.
22.
Le vent rappelle que les choses sont vivantes
il est au-dessus de tout soupçon quand l’arbre
est pris par les cheveux dans la tempête
et vacille comme une mèche allumée
Il n’y a que toi qui restes inerte comme la pierre
dans l’eau brillante plus limpide qu’un regard
Plus que des personnes j’ai fait vivre des choses
ensemble qui ne se seraient pas connues
Un instant doucereux qui médite
dans la pénombre piquée du miroir
où l’on ne pût entrer !
On ne peut pas y croire – seul - sur une telle durée
Après quoi ils purent venir
desceller l’appartement
éparpiller tout ce qui brille.
23.
Tu as perdu
Et les aiguilles du pin tombent
comme de fines pluies
signent les ultimes luttes
de jadis brunes comme ta peau
où courraient d’invraisemblables désirs
Puisqu’à toute liberté il faut une limite
(avides que nous sommes) le soleil a mis le holà
préservant ce qu’il reste de nous-mêmes
l’ultime lutte
c’est moi que j’accuse d’abandon
je n’ai pas le courage du peuple d’Ukraine
« Rien tu ne m’as rien donné toi qui m’écoutes » *
Toi qui fuyais
par l’automne jaune des collines en feu
* Salvatore Quasimodo Poèmes Donner et avoir
24.
Partout au-dessus de nos têtes des rois se font des signes
redessinent le monde comme des mages
d’un autre temps sans se brûler les doigts
Pourtant en toutes latitudes et en toutes langues
nous ne nous sommes jamais autant parlés
Je suis blessé à jamais
invisible comme la dérive des continents
ce lacis de raisons et de renoncements
cette pente légère qui descend
où se rejoignent les fruits et les heures perdus
Là où la terre attend de nous autre chose
Ni toi ni moi nous ne changerons jamais
Je ne pense plus à grandir maintenant
que s’impose la profonde mue
Tu ne songes plus à autre chose
Tu me trompes de mon propre désir
O mon frère allons au champ.
25.
Je crois voir les bourgeons pousser leur printemps
éclore dans le bruit de la ville le roulis
des fontaines métalliques d’où me viennent
les joies de ta joie
Là où plus un arbre ne pousse
il y a le froid sur la tempe dur comme un hiver arctique
et j’ai vécu là
C’est comme de dire que je ne pourrai jamais
grandir
sans toi la ville est un chaos
Que sait-on de ce que l’on cherche ?
L’intérieur de soi est comme une autre ville
On peut s’y perdre aussi bien qu’y disparaître
mais nous y avons fui déjà ensemble
Souviens-toi
un endroit de nous seuls connus
et que je devrais reconnaître.
26.
Ici on voit ce que l’on ne voit pas ailleurs
pour peu qu’un peu de brume monte par degrés
et qu’un brouillard de janvier descende
sur les quais prendre langue
Le bateau va vers « ospedale » avec son phare
jaune dans un clapot d’indifférence
qu’aucun touriste ne voit
Le mort pas encore mort et de l’eau
jusqu’à la gorge jusqu’au pied du mur
qu’elle ronge avec l’application
d’un animal inquiet
Une journée longue sans couleur s’amorce
quelque chose qui parle indéfiniment à l’âme
Arrivé à quai pas une parole n’est échangée
les gestes sont précis méthodiques
quelque chose comme un rituel s’installe
sans le moindre son aérien et léger
comme de la pluie fine qui serait
transvasée de la terre au ciel.
27.
Tu satures sous le poids des mots
t’englues dans une pâte un peu molle qui ne lève pas
et les autres prendront ou ne prendront rien
selon leur convenance ou selon l’instant
te laissant à ton doute existentiel
Jamais tu ne guériras sans eux
jamais tu ne guériras tout simplement
quand l’amour désigne il ne reprend pas
Au bord du lit le dos enroulé dans sa courbe
comme une fougère sensuelle
ce que l’on t’a promis ou laissé entendre
est inscrit en toi aussi bien que le désir
qui t’est propre
Si tout n’est pas permis tout est en ton pouvoir
sache-le même de vivre
au-delà de la mort.
28.
Ce n’est pas comme si je n’avais pas vécu l’amour
que sans cesse je rembobine le fil jusqu’à toi
Toi qui effaces en maître le tableau
où l’on consigne chaque chose
Et tout ce temps englouti comme une cité
avec ses cris ses joies ses engagements
Ce n’est pas parce que tu l’effaces de ta mémoire
que cela n’a pas été
Bien sûr quelquefois on ne respire plus là où
nous avons respiré plus fort à cause de l’amour
Il en est des pays comme des hommes
Les luttes sont âpres partout aujourd’hui
et les êtres sont fatigués
Que tu marches quelque part devant ou derrière
je sais exactement où tu te trouves
Je ne sais pas exactement ce que tu penses
mais je sais où tu es
Même si tu devais disparaître comme l’Atlantide
noyée et sans corps je saurais te trouver.
29.
On refait l’histoire à chaque fois que revient l’été
dans un degré de fièvre
qui porte toute chose à ébullition
Et tous les endroits du monde deviennent tendres
demeurent dans leur état de fouille
Des visages tout le monde en connaît
des qui soulèvent les fièvres en soi
ceux-là ne vieillissent pas comme les arbres
en proie à l’automne
« L’été seul est vrai et cette lumière en lui nivelle »*
Nous nous reconnaissons sans même
avoir besoin de nous voir
comme si pétrifiant le temps
nous nous étions vus hier
À ta lumière je reste désarmé
Que me veux-tu ?
Mon regard là-bas est arrêté comme une cible
Les temps ne l’apaiseront pas.
* Vittorio SERENI « Diario d’Algeria »
30.
Tu prends tant de nuits dans tes orbites
devenues insignifiantes que le chemin
te semble long jusqu’à ma satisfaction
Pendant que tu dors se calcinent les forêts
deviennent mer les îles silencieuses
comme des tortues géantes descendues dans l’eau
Impassible comme une couche de givre
l’inquiétude ne te gagne pas
pourtant rien ne naîtra plus sans inquiétude
Je suis là pour te regarder en face souvenir
inutile et amer et te parler dans cette langue
de batons et de clous
qui n’est plus comprise que de nous.
31.
Ne pas se tromper ni dans les vers
ni dans l’existence
C’est un fait que j’écris en distorsion avec la vie
d’un seul côté je me tourne comme s’il y avait là
le treuil qui soulage - la poutre qui soutient
l’étage d’où viennent les rires et les joies
Mais le poids revient chaque jour à la même place
souiller de gravier l’espace nu
proclamer l’inutilité du souvenir
Exister c’est autre chose
ni repentir ni entendre rien de ce qui s’adresse à l’âme
Entrer dans l’eau simplement innocemment
pour se laisser ballotter par les vagues
Ou quand quelqu’un te parle
ne pas répondre ce qu’il faut.
32.
Ce lieu existe pour toi aussi
qui ne demandes rien pour
que tu te déploies comme les nervures des feuilles
C’est ici que le doute persiste
tourne dans son labyrinthe
et cherche à s’apaiser
celui-ci à mesure qu’il nous dissèque s’invente
s’auto invite à notre table
Pourtant tu m’as tout dit
du moins ce qu’il fallait pour enrayer le temps
Ici je suis absent
Je ne suis pas où il faudrait être
je ne suis pas pressé d’atteindre
l’arbitraire le champ de foire
l’agitation des feuilles rougissantes.
33.
J’étale aujourd’hui les derniers feux
avec des doigts qui tremblent
désenchantent
Je regarderai brûler la forêt jusqu’au lac
comme s’il s’agissait d’une œuvre rébarbative
en proie aux flammes
Je me retourne personne ne suit
Je suis libre d’agir à ma guise
et sans filtre
Mon rendez-vous de lumière
je l’appelle
Dis-moi dis-moi seulement
si tu te rappelles de quelque chose ?
Pas forcément de quelque chose d’insolite
juste de quelque chose qui nous désigne.
Jean-luc ott
Strasbourg, 2025