
Poésies Jean-Luc OTT
DES ROUTES SE CROISENT
« Quelqu’un m’a choisi, m’a dit de venir là, à cet instant.
J’eusse pu voler au-dessus de l’eau, tant je suis certain de Lui
et j’ai attendu »
Piet LINCKEN « Parmi les sphères »
1.
On dirait que se tasse la neige
Sous tes paroles brèves pas de poème
possible juste le plus exact
défrichement d’une zone blanche
Réverbérante à force d’être blanche
elle recouvrait tout de sa bâche mouillée
Les empreintes les plus profondes
sont devenues méconnaissables et inutiles
les odeurs déposées aux pieds des herbes ensevelies
Le silence dans l’indifférence
des époques qui se suivent et se ressemblent
Il y avait bien des routes ça et là des chemins
où la terre subissait les piétinements
Tout ce temps je serai près de toi
bien que passent les jours
hors mon poème
qui empêche de reprendre pied
où tu m’as enlevé.
2.
Les mots sont réducteurs
Ils ne disent pas comment tu parviens à vivre
comment tu te glisses dans le temps
entre les aspérités des routes
entre les pions qui s’écartent parfois en masse
comme une saignée d’arbres dans la forêt
Et l’été te nargue revient
à chacune de tes pensées apparaît
pour disparaître dans une vague d’être
Qui joue avec nos vies et souffle
sur les braises du mal
le cherchant au plus profond de soi ?
La mémoire ne cède rien
elle ne te ménage pas
elle ne s’écarte pas encore de toi.
3.
Les rivières amènent leurs eaux sales et les sables
sont roulés réduits et polis comme des perles fines
Il n’est pas improbable qu’elles se rebellent
débordent de leur chair et déballent leurs maux
avec leurs vertèbres molles et leur mémoire informe
Au départ il y avait le vent dans les herbes
un vent frais qui plie les feuilles hautes
les courbe comme quand passe une force
rend les vagues sonores et l’estran mouillé
avec ses ondulations régulières
d’écriture oubliée
Le mouvement
voilà qui sera toujours et qui n’est pas la vie
qui ne s’arrêtera pas
même quand tout le reste se sera tu.
4.
Nous étions si près l’un de l’autre
qu’attendre n’avait plus de sens
La différence entre nous était si ténue
que je me suis immergé en toi
comme dans une forêt
J’exhale la mousse et les feuilles devenues vieilles
la terre humide de maturité et les distances
somnolentes comme une plaine entre toi et moi
Se plaît dans ton silence la nuit qui descend
Le vent était retenu dans les arbres
qui sans cesse faisait parler les feuilles
avec cette langue universelle qui provient
de si loin que les mots en sont perdus
Je me suis rendu là très exactement
pour cette raison simple
L’arbre quand descendent les géométries
lumineuses portait des ailes vivantes.
5.
Qu’est-ce qui me pousse vers ce que je ne peux atteindre ?
À bien des égards le ciel étoilé ne suffit plus
ne suture pas les pointes éclairées ici et là
La clairière qui était toi
Les insectes de la peau fourmillent avec leurs pattes
sèches sans nombre et leurs mandibules sucrées
C’est sur la peau que s’impriment les joies
et les traces de l’amour sont visibles
comme les doigts dans le sable mouillé
Quand la lumière est rase il reste l’obsession
des collines qui bleuissent le lointain
Mon regard me pousse là-bas
où quelque chose attend
C’est indéniable
Est-ce le début de quelque chose ou la fin
ou est-ce seulement là que je me retrouverai ?
6.
Nous nous emmêlâmes précisément
parce que c’était défendu
et le lierre âcre et sombre avait le goût
du miel des montagnes
Quoi de plus fort qu’une maison embrasée
quand les tisons se dispersent se répandent
pour se rendre visibles
et prendre possession du monde
et par le feu le prendre à témoin
Après l’amour construire une vie ordinaire
Partout alentour des yeux regardent
passablement éblouis et questionnent
sous le prétexte de choses apprises
Puis le pouls à ton poignet
écouter ce qui semble sans fin
voir déambuler les nuages
et faire pleuvoir sur les oyats aux racines longues
celles qui maintiennent ensemble les choses
autant qu’il est possible.
7.
Une forêt aux arbres en quinconce
ralentit la marche de la lumière
C’est encore la pénombre dans tes yeux
interrogateurs
Mises bout à bout les heures de discorde
emplissaient tout un moyen âge
mais rien ne rebute le temps qui avance
rasant le sol comme une meute pressée
Il n’est pas exactement celui qui vous vole
mais celui qui vous exclut
Bientôt sans vous il y aura des conciliabules
des accouplements très doux qui colleront
à vos pieds comme d’immenses ressentiments
Voici le genre nouveau que la nature a fait
avec la pulpe ourdie pour la cause
et chacun y mettra du sien
pour étendre le champ du possible
comme ces plaines imaginaires
où paissent des troupeaux.
8.
Mille ans ont passé j’ai l’âge des villes
Les mirages des siècles ont fini d’éblouir
mais Venise flotte toujours
Les hommes sont notre châtiment
piétinant d’impatience
ils ne savent pas que le temps
ne leur est pas soumis
C’est un animal sans inquiétude
qui domine
comme le vol paisible de la lune
les soirs d’été.
9.
Si tu dois venir tu viendras
il est permis d’y croire
et j’ai senti les heures tourner
comme les pies autour d’une chose qui brille
L’étang a pris des teintes d’automne
avec des feuilles molles qui glissent sur l’eau
à moitié mangées de rouille
Tu ne verras pas ça
Tu ne verras pas les matins devenir laiteux
lorsque les nuages descendent très bas
Les choses ont été dites et très vite oubliées
« Il est certain que des routes se croisent
et se décroisent »*
C’était avant l’automne quand il y avait là
des coassements de toute sorte et de grands
mouvements dans les coins et ces vrombissements
incessants messagers de la nuit bleue
qui rendent si dense
l’air fragile de l’été.
*Piet LINCKEN dans Un nuage devant les yeux
10.
Je ne connais pas le sens caché des océans
ni s’il y en a ailleurs qu’ici
Ces ailleurs qui envoient des signes et
qu’on ne voit pas
Je ne connais pas le mouvement
qui t’accompagne
ni la profondeur de ce dont tu te souviens
J’ai vécu là
j’y ai eu ma place
Dans la mémoire de l’eau
il y a le cycle de l’amour
j’y ai eu ma place
L’élévation sous le regard du soleil
la suspension dans ce qui ressemble
le plus au rêve
puis la métamorphose
celle qui redoute tant l’oubli.
11.
Les paysages ont des âges plein de secrets
et tiennent à nous par un fil
comme la pierre au soleil ton corps
était chaud c’est sûr et rattrapé par le temps
qui s’incruste dans le repli des peaux
J’entends les pas de qui ne vient pas
J’entends par la régularité du pouls et les veines
gonflées le mouvement qui fait route
le moment pour quoi vivre vaut la peine
Les bêtes et les herbes sauvages sont à toi
aussi bien que l’air libre et frais
tiennes aussi les promesses latentes
et tiens les embryons de clarté
dans ce matin trouble qui monte derrière les toits
et me rappelle sans cesse au devoir
de l’espérance.
12.
Trop d’honneur pour un qui ne promet rien
dont les silences sont aussi lâches
que d’entêtantes mélodies
Pourquoi jamais une réponse ?
Pourquoi jamais une pensée ?
Tu me replantais là où il y avait de l’eau
car il y avait tes mains
sur la partie molle du ventre
pour sentir le mouvement
et capter la douceur qui s’y logeait
C’était déjà beaucoup
Un ciel à tout rompre puissamment bleu
dont on évalue mal la profondeur
mais qui englobe tout en un immense devenir latent
Les êtres passaient comme une kyrielle
de fourmis envoûtées
ou le craquellement sournois d’une peinture
m’écartant peu à peu
Vous n’entendrez pas mes oiseaux chanter
ni mes ailes se mouvoir.
13.
Nous savons nous plaindre comme le frottement
des éclisses et dans le sens du courant
nous coulons peu à peu
Il n’est certainement pas un autre endroit
où je puisse dire ceci avec autant de conviction
nous formons ce que je veux qu’il soit
mon voyage ma germination
Je me suis arrêté longtemps
comme on prend place dans la terre
comme on naît pour une seconde chance
Alors ne m’attend pas
J’entends la cigale de la chaleur qui crépite
c’est ton feu d’été qui reprend vie l’ordalie de l’été
J’entends cela impossible de ne pas entendre
quand la terre craque et s’éventre
sous la soif d’exister et la nuit
encore sera lourde.
14.
Nous n’attendions rien que le miracle de la chair
s’il en est un c’est celui qui travaille le corps
en long et large à travers la moindre fibre
Il est une bulle une sphère sans ouverture
d’où tu ne veux plus t’évader
et un vent de panique agite ta peau
A l’Est le derme sensible comme les antennes
de l’escargot toujours les mêmes choses sont dites
et l’espace-temps se réduit à l’immédiat
à la chose primordiale qui est l’étendue du toucher
le besoin de chair
Au sud le moindre monticule la moindre aspérité
est érogène Il faut une patience folle pour faire un jardin
mais une parole suffit pour faire pleuvoir
toutes les eaux rêvées pour le féconder.
15.
Les yeux tournés vers ce qu’ils ont vu
qui ne m’échappe pas
qui m’imprègne comme la fraîcheur
s’inscrit dans la mousse
J’allais au-devant des illusions
que j’ai choisies
parce qu’il est bon de naître en quelque chose
Il ne s’est rien passé qui puisse clore
mes poèmes
Tu m’as fait ainsi
à deux pas de l’amour
incandescent dans la quête
prêt pour la cause
aussi égoïste que la mémoire
Il a beau pleuvoir toutes les banalités de la terre
Je suis rendu invulnérable
comme l’absence est rendue invulnérable
et sans retour.
16.
Mon passé est reconstruit comme les villes
minérales il emprunte ici et là
Le soleil traverse des périodes intenses
avec ses mains épaisses d’assassin
et son cœur enragé
Il pouvait en une seule fois
conduire au bûcher la forêt entière
Vivre c’est reconstruire sans cesse
faire fi de tout ce qui existe
pour exister.
17.
Voici le point de non-retour le point avancé
qui trahit sans renier peut-être mais dont
la trahison ne fait aucun doute
puisqu’elle est inscrite dans le secret de tes yeux
Rester là serait prendre racine dans les terres molles
succomber en blettissements comme le marais
dans l’excès d’eau
Les voix resteraient muettes comme raidit
toute chose inventée dans le silence
Toi tu files au-delà de la parole dans la matière
corruptible Tu inventes la marche continuelle
où tout est confusion mélodies inquestionnables
Corps lisses révolus
Le soir le vent rôde me renifle comme une bête
inquiète Il est chaud des feux lointains
des amours possibles
Je cherche le mot juste longtemps le bon endroit
pendant que s’impose le silence il est trop tôt
ou trop tard
Mon esprit contient ma mémoire mais de plus
en plus ils ne forment qu’un paysage entassé
Je ne reconnais pas l’arbre de la connaissance
dans la « foule des êtres vils »* je ne distingue plus
le bon grain
mais dans le poème aux racines inquiètes
tout est résolu.
* « la folla dei vili » Salvatore QUASIMODO
18.
Prendre sur soi comme un amas de neige
le fait les faits qui t’éloignent
Puis ne rien laisser paraître
Exister dans la respiration lente des montagnes
aux battements sourds de poèmes figés
Le temps ne sera rien
Les ombres passeront comme des nuages
en troupeaux c’est le monde extérieur
qui défilera
Là il faudrait tout oublier
Pas s’endormir mais oublier
On dit que le temps n’est rien
mais je sais qu’il n’est qu’irréversible
que l’éternité n’a rien à voir avec nous.
19.
Viscérale est ma poésie qui cherche
en moi les chemins de traverse
qui coupe au plus court
vers l’intime où personne ne cherche à entrer
où je ne serai jamais en paix avec moi-même
Et toi tu n’entends rien à cela
Ta trempe est l’audace de vivre
pas le marais de la nostalgie
Ce qui est là n’est pas ma langue
La langue qui me traverse n’a pas changé
depuis la nuit des temps
Sumérie désuète qui glisse
entre deux fleuves le long de berges saines
où les événements les gens les troupeaux
inventent le cours des choses
sans en changer la direction
puisque infini est le lieu où nous sommes nés
Ma langue n’invente rien
mais elle transcende le temps.
20.
Le silence n’est nulle part plus affamé
que dans ces yeux grand-ouverts
Ils regardent en face et ne voient rien
que d’autres yeux
Je n’existe pas mon nom est vide
blanc comme un amas de neiges
Il y a longtemps j’ai été piégé
dans l’amour les issues ne sont pas nombreuses
Aujourd’hui il ne se passe rien
le vent souffle mais ne déplace pas les heures
mais demain il se pourrait que le monde
naisse une seconde fois que des mains
pointent encore vers moi leur toucher rédempteur.
21.
Au bout des continents il y a l’eau
et sa grande étendue qui donne l’impression
d’un autre monde
La vie que l’on rencontre là est minuscule
bien rangés les bêtes ont rejoint leur hivernage
et les lumières leur place dans le ciel
Bien que l’air grandiose soit mouillé
comme après une rafale de pluie
la bouche s’assèche l’espace entre les dents
s’amoindrit se cimente et devient pierre
Dans le raffut du monde
au bout des sentiments en soi tout se tait
c’est le pur silence
celui qui dissipe les préoccupations
englue les pépiements et ferait entrer le corps
dans un chas d’aiguille
Devant soi l’étendue devient matière
irrésistible
comme un corps dans sa lumière.
22.
Que tu sois ce que j’ai toujours dit
le reste importe peu
Nous savons nous plaindre sans même voir
que le monde est si beau
qu’il ne cesse de naître
comme l’odeur des prés sous le soleil de juillet
comme les pampilles noires qui ploient le sureau
la lumière de l’aube pour nos yeux
Les épreuves font grandir
mon père sans père a su cela
Ce n’est pas vrai que chaque jour le monde commence
Il est vieux de nos lassitudes et de nos envies
Mais il tourne encore
parce qu’il ne peut pas faire autrement
parce qu’il est hors de combat
Mon corps aussi qui est vieux de ses lassitudes
chaque jour était sa guerre.
23.
Il y a toujours une raison valable pour renoncer
chaque jour elle nous tend les mains chaudes
du doute
Ton air songeur restait figé un temps
suspendu au-dessus de l’océan énigmatique
ou enfoui dans le glacé des eaux
Elle me parlait mais elle n’avait pas besoin
de moi pour réponse
La puissance de la vie est si grande
qu’elle sourd de toute part sans qu’on l’attende
de chaque chose mémorisée ou non
Pourquoi parlions-nous de ces choses
si tendres qu’elles ne cessent de sourdre
et si mal à propos
comme un ver dans un fruit encore vert ?
Le compas du soleil est resté fiché là
pour tracer cette courbe
qui n’a pas de limite et n’aura pas de fin.
24.
Parfois les êtres se décroisent sans raison
ou pour une raison extérieure
Le ciel seul est uni comme la passion
Il décharge sa fureur les mois d’orage
qui sont devenus imprévisibles
puis retrouve sa clarté
Ce que je n’ai pas voulu c’est me distordre
c’est m’allonger jusqu’au déraisonnable
pour t’entendre répéter encore et encore
ce peu de mots qui ne fait pas un paragraphe de vie
mais une parenthèse
Dans cette parenthèse-là j’ai trouvé mon corps
fait pour la vie pour l’entièreté de l’existence
La vigne vierge rampe de partout comme
le brouillard dans un Soir d’octobre
Mais notre mois c’est juillet le mois du soleil
et de la chance le mois qui devait manger
de part sa lumière les ombres et les doutes.
25.
En mon for intérieur je n’oublie jamais
Le tilleul entêtant la calotte sphérique du pissenlit
qui s’arrache au vent doux de juin
Le corps n’oublie rien
même s’il convoite la beauté il la maltraite
l’absorbe l’intériorise
Il maîtrise la langue le toucher pas l’entendement
et donne volontiers à croire qu’il est sain
C’est à ce moment qu’il s’agit d’être à la hauteur
bien que tout s’embrouille
la perception de ce qui est demandé en retour
le besoin du corps semblable qui sait très bien
à quel degré de volupté il aspire
et fait de soi une meute de chiens serviles
en grande quête
Mais où est le consentement
celui qui donne la latitude depuis les monts
jusqu’aux cimes des arbres où le vent bifurque ?
Les yeux ne suffisent pas les mains incontrôlables
fouillent le corps tout entier sacré
jusqu’à le faire basculer dans un monde nouveau
d’où l’on revient si transformé.
26.
Au degré zéro il est encore des forces qui pourraient
tenter l’immersion sous la glace
ou se défendre face à ce qui devient immobile
La confiance ne se décrète pas elle s’installe
comme le périmètre de silence à l’intérieur d’une vague
L’étang dont j’épouse la cause
reste muet comme l’ombre tombante
la chaleur en suspension prend des teintes
d’intensité se fait matière opaque
les coassements les cris d’oiseaux
se sont tus peu à peu
Il n’est plus rien qui puisse se dire
pour inverser le cours des choses
Ensemble nous espérions quelque chose
qui n’est pas venu
Alors te sortir de là où tu dors ?
Demain à cet instant l’ombre tombera
de la même manière et les racines des arbres
absorberont la même quantité d’eau
Sans que tu m’aies choisi pourquoi m’avoir donné
le goût sans la chair la parole sans le dénouement ?
27.
Quatorze juillet pluvieux cette date
m’est chère mille kilomètres nous séparent
pas d’océan mais un siècle ou deux
Dans ce monde quelque part cohabitent l’huile
et l’eau se forment des ondulations sensuelles
hypnotiques telles des ombres chinoises
mais qui ne se rapprochent pas
Le premier amour s’est égaré
et ne paraîtra plus
c’est sur ses ailes qu’il va falloir
tracer le long voyage.
28.
En définitive nous ne partageons que le soleil
et le vent comme l’arbre qui donne les fruits
et la bête qui enfante
Et tu rayonnes de jeunesse
Qu’y a-t-il d’absolument nécessaire ?
Ces mots ne sont plus nécessaires
Ils ne font qu’entretenir la nostalgie
et cette absence physique n’est plus un fardeau
Le monde existe pour toi et cela te suffit
ni pire ni meilleur qu’un autre mais suffisant
et le monde effectivement t’adoube
comme un des siens
jamais les nations ne payent leur dette
Pour moi il n’y a de réel que le bleu
des hautes chicorées leurs tiges sèches traînent
au sol comme les pattes longues des insectes
Je ne me souviens plus s’il y avait eu des rires
des gestes ou des trophées
nous cédions si peu de nous
que nous en demeurons intacts.
29.
J’entends j’écoute j’ai eu l’âme confidente
Les vitraux en moi étaient ouverts à la lumière
et les poissons volaient sur le carrelage froid
l’époque était prometteuse
Tes rêves d’eau salée je les ai comptés
Voilà le lieu de la connexion
et toi qui marches à ma gauche moins
blanc de peau comme une ombre
me dédoublant
quelque chose s’est-il passé ?
On voit jeune quand on l’est et les routes
sont devant soi ni derrière ni à côté
comme la piste de l’animal qui est une trace
et un chemin ouvert.
30.
Il se peut que les cigales ne meurent pas
que l’odeur de l’eau dans l’air sec de l’été
ne soit qu’une impression fausse comme
de se persuader d’être au centre de quelque chose
T’ai-je une seule fois fais part de ma peine ?
J’ai droit à ce que tu accordes à tout un chacun
cette part de réel comme est réel le passage
du temps et le droit à l’oubli
Alors boucle bien ma mémoire imprègne-la
de la chaleur torride de l’été pour la brûler
la rendre aussi muette qu’une chose dite
et déchire ma solitude fais-la crisser
sous les dents pour la rendre
digeste à chacun.
31.
Je sens j’entends les choses dont on ne parle pas
Le sac de l’humanité est rempli de pierres
je les sens dans mon dos
Si je dois me retourner autant que se couche le soleil
qu’il descende le long des murs à son habitude
Y a-t-il des horreurs plus grandes que celles que l’on fait
aux bêtes ou aux autres hommes (que l’on trie) ?
Trop de voyages ont été faits sans contenter mon âme
trop de regards croisés sans y rien pouvoir lire
Il pleut la pluie fait sortir les sentiers de leurs lits
sans parole
Il faut suivre la forêt dans ses songes
y pénétrer avec son âme claire
et n’attendre rien de sa fertilité.
32.
Je te suis inconnu
comme la face cachée de la lune
Comment faut-il faire pour exister autrement ?
Personne ne nous le dira Il en est ainsi
Tu existes quoi de plus merveilleux
et dois croire en ce qui existe
non pas à la déroute ou à la perspective
de ce qui ne peut se reproduire
mais en ce qui était et qui le sera
encore en nous jusqu’à ce que ma mémoire
ne soit plus à même de te le rappeler
Puis nous volerons puisqu’il en est ainsi
incontournables encore comme des astronautes
dans leur tour de silence
33.
Tu l’as oublié ce sol qui sent les soirs d’été
quand monte l’odeur précieuse de ses plis
mielleuse et acidulée comme d’une jeune peau
Tu as oublié la promesse qui n’engage que celui
qui y croit et le temps te pardonne et moi
non je suis bien au-delà mais pas fait de pardon
Peut-être qu’il n’y a rien à oublier ou qu’il s’agit
seulement d’un mode de penser comme de croire
aux choses intouchables peut-être qu’il n’y a
rien de vrai dans tout cela
Je peux seulement te dire ce que nous étions
et ce que tu aurais été si
Mais aux adieux je n’ai pas de remède
ni de mots audacieux qui dicteraient la loi
aux ombres même.
34.
La guerre a éclaté le sang fait encore tourner
le monde comme il circule en nous et irrigue
nos pensées sans changer le cours des choses
Alors qui peut croire en moi ?
Qui peut sentir le flux de mes paroles ?
Pourquoi s’embarrasser des culpabilités du monde
quand la vie se résume au présent ?
Il y a si peu de vérité qui tienne la route
A travers mes poèmes demain j’aimerai encore
quand le temps à l’intérieur de mes veines
se sera calmé quand il aura fait la paix avec moi
Car il faut être vivant pour aimer.
Jean-luc ott
Strasbourg, 2024