Poésies Jean-Luc OTT
AUX SOURCES, LA PRÉSENCE...
EXTRAITS
I
J’entends monter sous les voix de l’hiver
les sèves caduques de ta rigueur animale
Que n’apportes-tu le pardon des absents
l’anneau des réconciliations
aux valeurs inégales
selon que toi ou moi les entendons.
II
1)
A nouveau tu fais germer
les herbes du passé
comme à chaque saison
s’étendent les draps mouillés de la mémoire.
Sous le poids des ans
notre amour se compacte
comme un lit de feuilles
qui sent l’humus en disparaissant
et qui vit au-delà.
2)
Tu veux à nouveau soulever
les vents du passé
comme s’ils n’étaient pas rompus
par mes mots, par tous ces ans.
Les arbres renversés dont il ne reste rien
pas même un paysage
l’étang de nos confidences
a noyé ton désir.
De tout ce temps passé
qu’as-tu renié encore ?
IV
1)
Déjà le filet d’eau vive
des fontes de neige
réveille les tendresses mortes.
Il faut se préparer
il faut se résoudre
même si toi tu n’es pas ici
ni ailleurs ni nulle part
dans ce nouveau printemps.
2)
Ne sois pas moins heureux que le soleil
tu es à la source
l’éblouissement poétique
qui fait la vie trop lente
vivant dans ce seul désir
que rien ne peut assouvir.
De toi j’ai vécu
la féconde marche vers l’irrésolu
vers le devenir cette dormance
d’amour d’avant l’hiver
3)
Il faut se résoudre
à cette odeur de renaissance
qui brouille la perception
encore que tu communiques, résolu,
à ne pas disparaître comme une chose.
Pourquoi faudrait-il rester aveugle
dans la nasse de la vie
parfois trop belle.
V
Un ciel sans lumière
tu n’as jamais été là
dans l’illusion de la source
Je mords la terre de tes silences
jusqu’à les faire saigner
leurs plaies me sont douces
et s’y plaît la mousse humide
de ma réclusion.
Je m’en ressource
je m’en vieillis
et ne m’en débarrasse pas.
La vie est ailleurs je le sais.
Il arrive que des yeux voient plus clairs
que des mots ne se suffisent.
VI
Dès l’instant où tu respires
l’engrenage est en marche
l’épine dorsale de tes pas
fend l’air en deux tranches
inégales, passé et mémoire
jusqu’à la pointe du temps
où sont des choses que tu ne
soupçonnes pas.
Tu iras que tu le veuilles ou non
même si je ne t’accompagne
même si je te devance.
VIII
Te regarder simplement
rester là, de partout te sentir
comme un arbre
pour m’emplir de cette présence.
Te pénétrer de tous mes sens
jusqu’à te convaincre
jusqu’à ce que s’impose ma vérité
jusqu’à t’abattre.
Ce matin l’air est doux
les oiseaux cacophonisent
tout est léger tout est futile
Ainsi de voir naître et mourir
va la vie qui nous est donnée.
IX
Quand le vent remue les feuilles des peupliers
comme une ruche d’abeilles
je sais que tu te réveilles en moi.
Le vent jamais ne dit tout
il garde en lui les plus grands secrets.
Quand je tends l’oreille
ces murmures peuvent me rajeunir
alors il ne fait jamais nuit
et les mots sont autant de feuilles
que ta bouche peut en contenir
Il y en a tant que tu étouffes de joie.
XI
Un jour les sources seront taries
exsangues de courses.
Je n’avais nulle raison de me taire.
Devant ce silence retenu comme
une masse de ciel unanime
et son mensonge de bleu.
Alors je te savais, naissant,
comme on perçoit la chose
avant de la perdre
alors je te savais naissant
pour le bonheur fugitif
qui s’échappe de mes mains.
XII
De mes solitudes acérées en toi
j’ai creusé la source lumineuse
qu’espérai-je recueillir
comme or de tes mains glacées ?
J’aurais pu encore dans cette clarté
trouver ce que tu ignores
tant de choses apparaissent
où l’on cherche à voir.
Sans attache tu mènes ton eau
sur mes espoirs lisses de galets
Hors la permanence de mes yeux
tu irais sans laisser de traces.
XIV
Combien insistante cette mesure
de toi qui occupe tout
jusque dans mes automnes lamentables
une odeur d’enfance sur mes doigts osseux.
De l’accablement des souvenirs
mon corps est fatigué.
Il se pourrait qu’un ciel
d’une autre main blanchisse
il se pourrait qu’au de-là du mont
la pente se fasse douce
pour mes bras ouverts.
Toi simplement soleil
et la solitude que chacun fait sienne
jusqu’à l’étouffement.
XVI
Tu as déplacé le rocher en moi
pour faire jaillir la source
la source de mes mots est amère
tu y a trempé tes doigts
et tes lèvres pour savoir ce qu’elle valait.
Le saule a grandi irrémédiable
aux feuilles captives des vents
comme aux voix du ciel.
L’eau gaspille mes jours
en rêvasseries sans fin
Je ressasse mes remords
il y a si longtemps que tu es parti
que tu pourrais être mort.
Tu n’as même pas vu grossir ces eaux
qui ont fait le tour de la terre
sans te trouver.
XXI
Le feu là-bas s’il s’éteint
la nuit devient profonde
l’ouï perçoit encore
les scarifications de la vie
dans les infinies blessures du monde
Elles sont miennes sans conteste
comme de tes silences les frontières jamais tombées
(dont je devine les terres chaudes)
Les sons de la nature ces bruits amis
J’ai tellement aimé qu’en moi
le feu ne cesse de prendre.
Sont consommés les feuilles sèches
et le bois mort dans une flamme vers toi
je ne cesse de tendre.
Si je te touche désormais
tu deviendras cendre.
XXIII
Comme un linceul
laisse-toi découdre
et glisser comme on expulse
une eau dans la délivrance.
Jette au vent des souvenirs
ce pollen recomposé
pour qu’il prenne corps.
Imputrescible, étrange
comme une écriture
je saurais traduire cette foi.
XXIV
J’ai beau me retourner encore
toi qui n’avances plus
dans la perfection de l’instant
Tu propages ta fleur de l’âge
au de-là du permis.
En moi j’ai porté cette chose
au mûrissement
sans grand labeur
juste par amour
pour ma peine.
XXVI
Tant de choses en moi
que tu ne sauras jamais
Puisqu’il faut taire ce qui ne peut se dire
ce que tu ne saurais entendre.
Sur les tuiles enchâssées des ans
mot à mot, comme les pattes de la vigne
s’accroche un long silence.
Je m’enroule sur le chagrin,
me presse, me hisse et m’illusionne
par instinct.
De ta jeunesse qu’as-tu conservé ?
Tout se déprécie
sur l’échelle du temps
Est-ce si important d’avoir raison
devant l’histoire rien n’est rien
seul compte pour nous encore
l’instant d’éblouissement
qui fait que nous avons été.
XXVII
Toi qui marches dans ma tête depuis toujours
dans un piétinement inconsolé
ce n’est pas de tes pas
que naîtront
les chemins du retour.
Ton frêle aveu
comme une brindille de sourcier
a tôt libéré mon âme
inguérissable et
nos racines nourries de deuil.
XXIX
Chercher le corps dans l’eau calme
des draps d’enfance qui hennissent
rêve liquéfié, ridicule
comme des semis de rêves.
Tu croiras renaître les yeux trop clairs
par les nuits de veille
alors que tu n’es que noyé par lui.
Très lentement comme se tarit la sève
comme ces chevaux déserteurs
suivent l’armée des hommes.
XXXI
Par les grandes portes mes pas hésitent
toujours ces têtes me surveillent
de leurs yeux éteints.
Indélébiles ces morsures d’homme
qui meurtrissent l’âme.
Sera-ce le nombril du monde que je verrai
se dérouler comme une toupie
sur la pointe douloureuse et ivre ?
La tête basse vers l’avant jusqu’à
disparaître où le cône blanc m’entraîne.
Sera-ce enfin ta main que je verrai se tendre
ton souffle m’aspirer
à travers l’opaque lumière de tes yeux
je me livrerai sans inquiétude.
Il n’y a plus de limite entre toi et moi
qui m’as conquis comme on conquiert un ennemi
XXXII
Avec le temps les luttes s’apaisent
pour n’être qu’une espérance presque tangible
un point de lune dans un ciel d’été
serein presque palpable.
Toi seulement insaisissable
jamais tes quatre coins rassemblés
ne feront le drap de mes nuits
toujours tu disparais
transmues
disputes à la lumière
cette clarté révolue.
XXXIII
Les sources friandes
comme des racines à la fois
début et extrémité de la vie
comme en tout sens le vol vif
et joyeux des hirondelles
le printemps jamais tout à fait loin.
Elles ravivent le sang de l’âme
de leurs cris déchirants
qui poussent à l’immobilité
et figent le temps.
Les mots dits ne sont rien au regard
des mots tus lourds
telle la corvée des amours
après quoi il faut survivre
J’ignore où penche la route
d’où rien ne vient
j’ignore qui je désire
est-ce indifférence ?
Est-ce lassitude
Je ne me croirais jamais
si heureux que je le suis.
XXXV
Un jour nous resterons étendus
je n’aurais pas besoin de prendre ta main
pour connaître le pouls de ton âme
lentement la nuit descendra sur mes rêves
qui n’auront pas cessé
Et quand la nuit sera venue
je chercherai ta chaleur qui ne sera plus.
XXXVI
En bougeant peu tu grandis
sans mesure et pris des campagnes
désolées le chant muet.
La charge de silence
comme un été moulé sous le soleil
sa feuille d’or inévitablement
tu n’en jouis pas.
Jusqu’au bord du déversement
exsangue et repu, déssaillant,
tu crois rester anonyme.
Strasbourg, 2003